Bijoux de deuil, époque victorienne
Tout le XIXe siècle

Les bijoux de deuil victoriens

Quand on pense au XIXème, on a facilement en tête l’image d’un joli médaillon qui s’ouvrirait pour révéler le portrait miniature d’une fiancée, ou encore une de ses mèches de cheveux, voire les deux.

Il faut dire que c’est à l’époque victorienne que se sont multipliés ces petits objets souvenirs, à valeur sentimentale. Je ne sais plus exactement quelles recherches j’étais en train de faire quand j’ai commencé à fouiner parmi ces objets-là, mais assez vite je me suis rendue compte que la plupart d’entre eux étaient dédiés au deuil. J’ai découvert au passage un univers carrément fascinant, alors il fallait que je vous partage ça ! 😉


En souvenir des chers disparus

Memento mori : « Souviens-toi que tu vas mourir »

Depuis que l’Homme est Homme, il redoute la mort, tant pour lui que pour ses proches. C’est entre autres pour apaiser cette angoisse profonde que les religions ont fait leur apparition et que toutes les civilisations humaines traitent leurs défunts selon des cultes et des rituels bien particuliers.

Vanitas, par Champaigne (XVIIe siècle)
Vanitas, par Champaigne (XVIIe siècle). La beauté de la fleur va se faner, le temps s’écoule dans le sablier, et la mort te regarde et t’attend… En peinture, si vous voyez une nature morte qui contient un crâne, c’est bien souvent qu’il s’agit d’une vanité, c’est à dire une description, via les objets représentés, de la futilité des plaisirs de la vie face à l’échéance qui nous guette tous.

D’abord pendant l’Antiquité, puis avec le développement de la religion chrétienne au Moyen-Âge, on voit apparaître divers objets et oeuvres d’art appelés memento mori (d’après une locution latine qui signifie « Souviens-toi que tu vas mourir »). En peinture, on appelle aussi ça des vanités. Ces représentations sont là pour rappeler à l’Homme sa condition de mortel, afin que – toujours selon la religion chrétienne – il n’oublie pas qu’un jour il se retrouvera devant son Créateur et sera jugé pour la vie qu’il aura menée. En gros : attention, mon ami, les plaisirs matériels sont vains et futiles, et tu ferais mieux de te préoccuper du salut de ton âme, car le temps passe et la mort est au bout du chemin…

Memento mori datant de 1780 : une montre en forme de crâne
Montre datant de 1780. Tic, tac, tic, tac…

Au départ, les memento mori sont donc des objets ou des oeuvres destinés à illustrer une certaine morale religieuse ou philosophique. Mais avec le temps, ils ont évolué et se sont peu à peu mis à représenter le souvenir d’un défunt : on se rappelle la personne décédée, on se rappelle sa mort, et on se rappelle qu’un jour, lorsque ce sera notre tour, on ira la rejoindre.

Le deuil de la reine Victoria

C’est au tournant du XIXème, à partir de la période néo-classique, que les bijoux de deuil deviennent vraiment répandus. Ils évoquent très clairement le disparu (portrait, initiales ou nom inscrit, date du décès…) et sont portés par les proches qui le pleurent. On va même plus loin, puisque certains offrent aussi des bagues commémoratives aux invités, lors des enterrements ! Tout le monde repart ainsi avec son petit souvenir de l’évènement…

Cette tendance se développe pendant toute la première moitié du XIXème siècle. Mais ce serait difficile de parler du deuil dans ce temps-là sans parler de sa plus célèbre veuve, la reine Victoria, qui va encore accentuer le phénomène des objets souvenirs.

Bague de deuil en mémoire du Prince Albert, décédé en décembre 1861
Bague de deuil en mémoire du Prince Albert, avec sa photo en minature et les initiales « A » de Albert et « V » de Victoria entrelacées

Le prince Albert décède à la fin de l’année 1861. C’est un drame dont la reine ne se remettra jamais. Non seulement elle portera le deuil intégral jusqu’à la fin de sa vie (40 ans plus tard !), mais elle insistera pour que sa famille fasse de même, et elle vouera à son mari un culte qui virera à l’obsession. On ne touche pas aux objets que possédait Albert, on entretient sa chambre à Windsor comme s’il l’habitait encore, on multiplie les objets en sa mémoire (anneaux, bracelets, médaillons…).

Bien que Victoria se soit retirée de la vie publique, toujours en raison de ce deuil, elle reste un exemple à suivre pour l’aristocratie anglaise : elle avait donné le ton avec sa robe de mariée immaculée (voir ici), elle donne maintenant le ton avec ses vêtements de deuil et son goût immodéré pour les bijoux à la mémoire des défunts.

La reine Victoria en habits de veuve, avec John Brown, par E. H. Landseer (fin des années 1860)
La reine Victoria en habits de veuve, avec John Brown, par E. H. Landseer (fin des années 1860)

Le culte des reliques

Auparavant, on vénérait surtout les reliques des grands personnages. On se disputait un morceau de leur dépouille, considérée comme sacrée et capable d’apporter des miracles. Partout en Europe, on ne compte plus les églises et les monastères qui renferment un coeur momifié, une phalange, ou quelques dents d’un grand saint protecteur ou d’un roi respecté.

Au XIXème, cet attrait pour les reliques s’exerce aussi à propos des proches décédés. Certes, on va conserver précieusement un objet qui a appartenu au défunt, mais on va aussi plus loin : on voudrait par exemple conserver éternellement une mèche de cheveux de son bien-aimé, voir une dent de lait de son enfant adoré mort trop jeune…

Du noir, des crâne, des restes humains ? Voilà justement les codes des mouvements romantiques (ici) et gothiques qui se développent à cette période !


L’évolution des bijoux et accessoires de deuil au XIXème

Du sentimental plutôt que du macabre

Du Moyen-Âge au XVIIIème siècle, les memento mori sont assez macabres, à grand coups de crânes et de squelettes effrayants. On montre la mort de manière plutôt crue.

Mais au XIXème siècle, notamment sous l’influence du néoclassicisme et de l’esthétique de l’Antiquité qu’on apprécie tant, les sujets de ces objets souvenirs vont devenir plus poétiques, plus allégoriques. C’est aussi une question d’évolution de la religion chrétienne : après le Moyen-Âge et la Renaissance, on met de moins en moins l’accent sur la dépouille mortelle qui se détériore, et de plus en plus sur l’immortalité de l’âme.

Dans ces conditions, bienvenue aux anges, aux nuages, aux fleurs, aux croix, aux urnes, aux yeux d’où coulent des larmes, aux bateaux en partance, aux saules pleureurs, aux mausolées, aux stèles et autres monuments près desquels se lamentent une veuve ou un chien fidèle…

Comparaison de deux bijoux de deuil, réalisés avec des cheveux
La bague de deuil de gauche date de 1680 et montre un squelette avec dans une main un objet pour couper le fil de la vie, et dans l’autre un sablier (et des initiales). Celle de droite date de 1780 et montre une stèle où est inscrit « Je me meurs pour revivre » (et aussi des initiales), surmontée d’un saule pleureur et auprès de laquelle pleure un homme. En un siècle, les symboles ont bien changé !

Des objets de toutes sortes

C’est sûr que s’il s’agit de rendre hommage à un défunt que l’on a aimé et dont on chérit la mémoire, on va le faire avec un objet noble. Le bijou est donc de mise : bagues, bracelets, broches, boucles d’oreille, colliers ou pendentifs, bijoux pour les cheveux…

Mais on faisait aussi des memento mori avec des accessoires de mode tels que des boutons de manchettes, une épingle à cravate ou à chapeau, une boucle de ceinture ou des boucles de chaussures. Ça pouvait aussi être une châtelaine (j’ai décrit ce que c’était ici), une montre à gousset (on y glisse bien souvent un portrait miniature), voire même la clé qui sert à remonter la montre !

En gros, il s’agit d’objets que l’on porte sur soi. Ainsi, nos disparus ne sont jamais loin de nous.

Bijoux de deuil de l'époque victorienne : bouton de manche et clé de montre contenant des cheveux du défunt, et épingle de cravate
Un bouton de manchette, une clé de montre et une épingle à cravate

Du noir, du noir, encore du noir

Dans les cultures européennes, ça fait belle lurette qu’on s’est entendus pour dire que la couleur du deuil, c’est le noir. Et comme le XIXème siècle est très codifié et qu’on se doit de porter du noir aussi longtemps que les règles du deuil l’indiquent (j’en avais un peu parlé ici, mais j’en ferai sûrement un article plus complet un jour), les bijoux suivent la tendance. On cherche à créer des ornements certes très beaux, voire luxueux si on en a les moyens, mais avant tout noirs.

Bijou de deuil : broche en jais de Whitby datant de l'époque victorienne
Broche victorienne en jais de Whitby

On utilise ainsi de l’onyx, de l’obsidienne, de l’émail noir, du verre noir, des écailles de tortue, de la vulcanite ou de l’ébonite (à base de caoutchouc durci), de la morta (un bois semi-fossilisé)…

Mais la pierre semi-précieuse la plus recherchée, c’est définitivement le jais. Et si possible, celui de Whitby, une ville du nord de l’Angleterre réputée à cette époque pour fournir du vrai jais. Car le « jais de Paris » importé de France n’était bien souvent que de la camelote, c’est à dire du verre coloré en noir.

Bijoux de deuil datant de l'époque victorienne en matériaux noirs : jais, émail et onyx
Un pendentif en jais (avec croix et lauriers en perles), un en émail (avec monogramme en argent) et un en onyx (avec lauriers en perles)

Des cheveux du défunt

Les cheveux sont un matériau « éternel ». Ou, en tout cas, très résistants à la pourriture des corps. De plus, ils sont situés sur la tête – siège de l’âme et de la conscience – et lourdement chargés en symbolique dans à peu près toutes les civilisations humaines (j’en avais parlé ici, notamment).

Dans les bijoux de deuil, ça fait déjà plusieurs siècles qu’on incorpore les cheveux des défunts. Et pas juste une mèche de cheveux glissée dans un médaillon ! Non, non : des cheveux tressés ou disposés de façon à composer soit la pièce centrale d’un bijou, soit la chaîne ou le ruban dudit bijou.

On fait également des dessins à base de cheveux, en les collant ou en les brodant (!), là encore pour réaliser des miniatures qui serviront à faire des bijoux ou des objets commémoratifs. De cette façon, on garde littéralement avec soi un morceau du corps de la personne décédée que l’on chérit tant.

Bijoux de deuil datant de l'époque victorienne contenant des cheveux du défunt
Trois façons d’arranger une mèche de cheveux dans un médaillon : toute brute, tressée ou bien arrangée en motif de vague
Bijoux de deuil datant de l'époque victorienne : bracelets tressés avec les cheveux du défunt
Trois façons de tresser des cheveux pour en faire des bracelets (oui, oui, je vous garantis que la chaîne qui compose le bracelet est faite de cheveux humains !)
Bijoux de deuil datant de l'époque victorienne en matériaux noirs : dessins réalisés avec les cheveux du défunt, collés ou brodés
Trois façons de dessiner avec des cheveux : collés sur une surface ou bien brodés sous forme de petit tableau miniature

ET MAINTENANT… Retournez donc voir les photos que j’ai mises pour illustrer les paragraphes précédents : vous y verrez des cheveux partout ! Dans les bagues de 1680 et 1780, dans les boutons de manchette, dans la clé de montre…

Des dents

Bijou de deuil datant de l'époque victorienne : bague souvenir avec des dents de lait et un motif de cheveux du défunt
Cette bague victorienne se compose de dents de lait, avec, au milieu, un petit motif de cheveux tressés. Il s’agit probablement du souvenir d’un enfant décédé.

Vous trouvez qu’utiliser des cheveux, c’est un peu glauque ? Attendez de voir ce qu’on faisait avec les dents !

Bon, c’est vrai, c’est nettement plus rare que les cheveux. Mais, tout de même, il existe des bijoux de deuil où se trouvent enchâssées une ou plusieurs dents d’un défunt.

Je ne sais pas vous, mais là je commence à trouver ça limite… Surtout que ça me rappelle un peu ce qu’on faisait avec les dents de Waterloo (voyez ici) ! Gloups !


En conclusion

Précisons que ces objets commémoratifs ont existé dans à peu près tous les pays d’Europe occidentale, et pas juste en Angleterre. On faisait pareil en France, en Suisse, en Allemagne, en Espagne (oui, oui, même les broderies de cheveux ! tout pareil !)…

Attention, tous les bijoux de deuil ne sont pas nécessairement commémoratifs, justement. Dans le sens où ils ne font pas tous mention d’une personne en particulier, ni ne contiennent un morceau de sa dépouille. Certains sont simplement des bijoux de couleur noire, qu’on portait en période de deuil, en complément de ses vêtements.

Mais pour ce qui est des souvenirs et autres memento mori, l’imagination des gens n’avait pas vraiment de limites et reflétait de façon très touchante l’affection qu’ils portaient à leurs morts. D’ailleurs, aujourd’hui encore, il est tout naturel pour beaucoup d’entre nous de conserver des objets souvenirs ou des reliques des gens que nous avons aimés et perdus. La technologie moderne ayant fait des progrès, il est même possible, désormais, de faire réaliser un diamant artificiel à partir des cendres d’une personne incinérée, afin de pouvoir ensuite en faire un bijou !

Après tout, ne dit-on pas que les diamants sont éternels ? Encore plus que les cheveux, en tout cas !

Pour finir, si jamais le sujet vous fascine autant que moi, allez donc faire un tour sur l’excellent site Art of Mourning (« L’Art du Deuil »). Son fondateur est un historien qui s’est spécialisé dans les memento mori et objets de deuil de toutes les époques, et c’est absolument passionnant !

SOURCES :
Wikipédia - Memento mori
Utilisation des cheveux dans le bijoux
Cheveux chéris - Les bijoux en cheveux
Objets d'hier - Bijoux en cheveux
Victorian mourning jewelry
History of victorian mourning jewelry
Antique jewelry: Mourning jewelry of the victorian era
Art of mourning: Victoria's photographic mourning ring for Albert, 1861
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