Époque georgienne,  Époque Régence anglaise,  Époque victorienne

Le pianoforte… c’est bien un piano ?

Au début du XIXe siècle, le pianoforte est un des instruments de musique de prédilection qu’on trouve dans les foyers des classes moyenne et aisée. C’est sur cet instrument que s’exercent (avec plus ou moins de rigueur 😉 ) les héroïnes de Jane Austen.

Mais, c’est quoi, au juste, un pianoforte ? C’est un piano ?

Mmm… presque, mais pas tout à fait !

Commençons déjà par parler musique, on parlera instruments ensuite. Je vais encore faire de longs détours, mais vous allez comprendre pourquoi…


Les nuances

L’Italie ayant dominé le monde de la musique pendant longtemps, le vocabulaire italien s’est imposé dans le langage musical (il y est encore de nos jours, vous le savez bien si vous faites vous-même de la musique).

En italien, donc, piano signifie doux et forte signifie fort.

Nuances sur une partition de musique
La célèbre Marche Turque composée par Mozart. J’ai entouré les nuances en jaune : p pour piano, mf pour mezzoforte, f pour forte

On utilise ces termes (et leurs variantes) pour décrire les nuances que l’on veut donner à une composition musicale, c’est à dire si on doit la jouer en y mettant plus ou moins de volume sonore.

Si le compositeur a des exigences précises à ce sujet, il va l’écrire directement dans la partition : de cette façon, le chanteur ou le musicien saura qu’il doit interpréter ce passage avec une intensité qui va de super-doux à super-fort, soit pianississimo, pianissimo, piano, mezzopiano, mezzoforte, forte, fortissimo ou fortississimo.

(oui, fortississimo, ça existe, et ça vous flingue bien les cordes vocales, croyez-moi ! 😉 )

Faire des nuances, ça a l’air évident, dit comme ça. Après tour, rien de plus simple que de moduler la puissance de sa voix, de souffler plus ou moins dans une flûte, de frotter plus ou moins lourdement son archet sur les cordes d’un violon, ou de taper comme un gros barbare sur des percussions pour faire un max de bruit…

Mais avec un clavier, ce n’est pas si simple !

Je vais tâcher de vous résumer le trajet qui a mené jusqu’au piano d’aujourd’hui. Si vous êtes un peu perdus, vous trouverez un petit résumé de l’histoire de la musique ici.


Cordes pincées ou frappées

Pendant l’Antiquité et l’époque médiévale, on fabrique des instruments avec des cordes tendues sur une planche de bois, qu’on appelle une table d’harmonie et dont le rôle est d’amplifier le son produit par les vibrations des cordes. Il y a plusieurs variantes :

La cithare de table

Cithare de table
Écoutez un exemple ici.

La cithare de table est un instrument que l’on pose devant soi, sur… ben… une table. Pour en jouer, on pince/gratte les cordes avec les doigts, exactement à la manière d’un guitariste.

On peut d’ailleurs s’aider d’un plectre pour gratter sans se bousiller le bout des doigts, parce que les cordes, autrefois en boyaux, sont désormais en métal. La musique produite sonne d’ailleurs très « métallique » (et ça ne va pas s’arranger avant longtemps…)

Le cymbalum

Cymbalum
Écoutez un exemple ici.

Le cymbalum (et le tympanon, autre instrument très proche) ressemble à une cithare de table, posée devant soi, sauf que cette fois on frappe les cordes à l’aide de deux petits marteaux.

La taille de l’instrument peut varier : il y a des versions pour jouer à la maison, en concert, en voyage… Cet instrument est d’ailleurs très populaire dans les pays d’Europe de l’Est, où on l’appelle entre autres le « piano tsigane ». Là aussi, le son est très métallique.

Je ne vous en parle pas, mais il existe une quantité d’autres instruments semblables, avec des origines géographiques et culturelles différentes, certains à l’horizontale, d’autre à la verticale, avec plus ou moins de cordes, et plusieurs tailles et formes de tables d’harmonie…

Je ne vous parle pas non plus de l’orgue : bien qu’il possède des claviers qui ressemblent à un piano, il s’agit d’un instrument à vent… donc il n’a rien à voir et on s’écarte du sujet.


Apparition du clavier

Avec le temps, on va ajouter à ces instruments à cordes un ou plusieurs claviers. De cette façon, on gagne en dextérité et en vitesse d’exécution : faire résonner les cordes devient alors plus facile (et on économise nos bouts de doigts, hé hé hé ! 😉 ).

Le clavicorde

Clavicorde
Écoutez un exemple ici.

Dès le début du XIVe siècle apparaît le clavicorde, tout droit dérivé du cymbalum. Il est bâti sur une caisse rectangulaire et les touches du clavier actionnent des marteaux qui frappent les cordes.

Cet instrument permet d’avoir des nuances, car les cordes sont frappées (on peut donc les frapper plus ou moins fort). Par contre, on n’entendra pas une différence flagrante, car la table d’harmonie est de taille réduite, alors le son émis par le clavicorde reste discret.

Du pianissimo au mezzopiano… on ne fera pas Bohemian Rhapsody avec ça, c’est sûr !

Le clavecin

Clavecin
Écoutez un exemple ici.

Le clavecin apparaît à la Renaissance et est dérivé de la cithare de table. Chaque touche du clavier est reliée à un mécanisme qui pince/gratte la corde correspondante pour la faire vibrer.

Il produit un plus gros son que le clavicorde, notamment parce que son coffre et sa table d’harmonie sont bien plus grands (ça commence à ressembler à la queue de nos futurs pianos). Et le son est toujours très métallique (ah, que j’aime pas ça ! vous aimez, vous ?)

En revanche, qu’on appuie doucement sur la touche ou qu’on y aille comme un bourrin, le résultat est le même : la corde n’est pas frappée, mais elle est grattée, ce qui fait que le volume du son est toujours le même.

Pour les nuances, donc, c’est mort… 🙁

Autre avantage du clavecin : on peut superposer deux claviers, ce qui permet au musicien de jouer facilement plusieurs lignes mélodiques en même temps. Un atout non négligeable à l’époque baroque, qui adore la musique en contrepoint (c’est à dire avec plein de mélodies distinctes superposées les unes aux autres).


La petite révolution du pianoforte

Pianoforte

Enfin ! On y arrive ! 😉

C’est en Italie, vers 1700, qu’un facteur de clavecins et de clavicordes du nom de Cristofori a inventé un instrument à clavier capable de produire de vraies belles nuances (parce que, oui, un facteur, c’est pas juste le gars qui vous apporte votre courrier, c’est aussi le mot qui désigne un fabricant d’orgues ou de clavecins).

Le calcul est vite fait :

clavecin + clavicorde = pianoforte

Notre facteur a tout simplement trouvé le moyen d’adapter et de perfectionner le mécanisme de marteaux du clavicorde et de l’intégrer dans la caisse de résonance d’un clavecin. Et voilààààà !

Sauf que, pour autant, ce nouvel instrument hybride ne ressemble pas encore au piano moderne, ni à l’extérieur, ni à l’intérieur. Par conséquent, il ne produit pas exactement le même son non plus.

Ci-dessous, quelques notes du pianoforte de Mozart. Notez que pendant la période classique, les compositeurs comme Mozart ou Haydn ont composé aussi bien pour clavecin que pour pianoforte, en tenant compte des spécificités de chaque instrument.

PRÉCISION : à l’époque de Jane Austen, on peut dire pianoforte ou fortepiano, les deux mots sont équivalents.

Il existe en version « à queue » ou en version rectangulaire.


Le piano moderne

À partir de 1820, le pianoforte évolue encore.

Cette fois, il prend la forme que nous connaissons aujourd’hui, et par abus de langage on parle maintenant d’un piano.

On y ajoute (entre autres) :

  • un cadre en métal sur lequel sont tendues les cordes. C’est une amélioration majeure, car on peut désormais appliquer aux cordes une très forte tension (sans risquer qu’elles vous sautent à la figure…)
  • de meilleures cordes : des simples cordes en acier forgé filées à main, on passe peu à peu à des cordes en fonte d’acier à forte teneur en carbone
  • un mécanisme amélioré du marteau pour permettre de rejouer rapidement deux fois la même note (chose difficile à faire avec le pianoforte)
  • des pédales pour étouffer ou au contraire prolonger la vibration des cordes (ça aussi, ça n’existait pas avant)

C’est le début de la période romantique. On a enfin perdu cette foutue sonorité métallique (youpiiiii !) et nous voilà partis pour ce qui sera l’âge d’or des grands pianistes virtuoses : Liszt, Chopin, Schumann et autres Mendelssohn…


En conclusion

Les héroïnes de Jane Austen jouaient en effet du pianoforte, ainsi que de la harpe et de la flûte, qui étaient les trois instruments les plus courants pour l’éducation musicale des jeunes filles de bonne famille dans les années 1810.

Cela dit, un vrai pianoforte, ça peut prendre autant de place qu’un piano à queue, et ça coûte super cher. On en achète un si on a les moyens, mais sinon ça peut se louer, ou alors on se rabat sur les autres types d’instruments à claviers moins encombrants : clavicorde, épinette, virginal…

SOURCES :
Wikipédia - Piano
Wikipédia - Pianoforte
Wikipédia - Clavicorde
Wikipédia - Clavecin
S’abonner
Notifier de
guest
4 Commentaires
Inline Feedbacks
View all comments