Écriture et autoédition

Parlons argent (1/4) : c’est payant d’être écrivain ?

Est-ce qu’on gagne bien sa vie quand on écrit des livres ?

C’est une question qui revient souvent. Hé bien, on va déboulonner tout de suite ce mythe qui a la vie dure : non.

Être écrivain, c’est classe, c’est romantique, ça fait rêver, ça flatte l’égo, tout ce que vous voulez, mais ça ne rapporte certainement pas l’équivalent d’un salaire.


Les exceptions ne sont pas la règle

Seuls 2% des auteurs publiés parviennent à gagner leur vie avec leurs écrits.

2% !!! C’est pas gros… Parmi eux, il y a les superstars qui font rêver tout le monde avec des fortunes colossales obtenues à la suite d’un succès inattendu (J.K. Rowlings en tête), des écrivains-vedettes qui bénéficient d’un solide marketing (Éric-Emmanuel Schmidt, Marc Lévy, Amélie Nothomb…), et quelques rares chanceux capables de se dégager un revenu annuel suffisant.

En effet, pour espérer gagner assez de droits d’auteurs pour en vivre décemment, il faudrait pouvoir compter sur :

  • le hasard : il ne suffit pas d’avoir du talent pour avoir du succès. Il faut également un concours de circonstances favorable, et ça, c’est tout simplement un coup de chance. S’il y avait une recette infaillible pour déclencher un succès, ça se saurait…
  • les produits dérivés : J.K. Rowlings n’a pas obtenu sa fortune seulement grâce à ses livres. C’est aussi en très grande partie grâce aux droits sur les films, les parcs d’attraction et tous les produits dérivés d’Harry Potter. Oui, ça fait beaucoup de sources de revenus différentes, c’est bien tout l’intérêt de la chose !
  • la taille du lectorat : si votre lectorat potentiel est énorme (ou que votre livre a été traduit et distribué dans 18 pays), vous avez de bonnes chances de vous en sortir beaucoup mieux qu’un autre auteur avec un lectorat réduit. Forcément.
  • le nombre de publications : écrire un seul livre est rarement suffisant pour faire beaucoup d’argent. Les auteurs qui aujourd’hui vivent confortablement de leur plume y arrivent parce qu’ils ont une gros paquet de publications derrière eux (plus de 25 romans au compteur pour Nothomb, par exemple). En cumulant les droits sur chacun de leurs livres, ça finit par faire des sommes intéressantes.

Pour devenir – et surtout rester ! – un auteur à succès, il faut produire pour faire parler de soi et multiplier ses droits (Schmidt ou Lévy produisent au moins 1 livre par an). Le paradoxe, c’est que pour avoir des sous grâce à ses livres il faudrait pouvoir écrire à temps plein pour en produire beaucoup, mais que pour pouvoir écrire à temps plein il faut d’abord avoir des sous… 😉

L’écrasante majorité des écrivains publiés ont donc forcément d’autres activités professionnelles, en dehors de l’écriture.


Le pourcentage de droits d’auteurs

Dans l’édition régulière, un auteur touche entre 8 et 15% du prix de vente d’un livre. Pas plus.

Dans mon cas particulier, mon premier roman, La cantatrice, était vendu au départ au prix de 24,95$ (environ 16,5€). De mon point de vue de consommatrice de livres qui n’a pas un budget infini, je trouvais ça un peu exagéré et si j’avais choisi moi-même j’aurais sans doute baissé ce prix en espérant vendre plus (mais ce n’était pas moi qui décidais et mon éditeur savait très bien ce qu’il faisait).

Sur ce montant, je recevais 15% en droits d’auteur. Ça peut paraître peu et pourtant j’étais vraiment bien lotie : une bonne quantité de mes confrères ne gagnent pas autant, en particulier quand on est un auteur publié pour la première fois.

Où va le reste ? Hé bien, il y a la part de l’éditeur, de l’imprimeur, du distributeur et du libraire. Sans compter les taxes pour l’État.

Finalement, le prix total du livre ne me semblait plus si élevé quand j’ai réalisé que je ne toucherais que 3,75$ (2,50€) sur chaque vente… Encore une fois, ce sont les prix normalement pratiqués dans l’industrie et je n’aurais jamais pu obtenir plus que ça (il faut être un de ces écrivains superstars pour réussir à négocier un « gros » 17%, qui est bien le maximum jamais accordé à un auteur). N’empêche qu’à ce rythme, pour un livre sur lequel j’espérais gagner au moins de quoi rembourser les centaines d’heures de travail que j’y avais consacré, il allait falloir en vendre un paquet !

Si je fais le bilan, depuis que La cantatrice est sorti en 2011, je constate aujourd’hui que j’ai fait des ventes sommes toutes assez honorables pour un premier roman (compte tenu du marché québécois, nettement plus petit que le lectorat français). Mais ce 15% reste très insuffisant, et c’est la frustration avec laquelle doivent composer tous les écrivains : nos droits d’auteurs ne sont guère plus qu’un petit bonus financier, une sorte de 13ème mois, et on ne paiera pas notre loyer avec ça !


La durée limitée des droits d’auteurs

La durée d’exploitation commerciale d’un livre n’est pas éternelle, par conséquent les droits d’auteur qui en découlent non plus. Quelques années, et c’est fini !

Au Canada, un auteur perçoit les droits sur son oeuvre jusqu’à 50 ans après sa mort (70 ans pour la France). Mais on oublie de préciser que c’est à condition que l’oeuvre en question soit toujours mise en vente !

En général, un livre va être exploité en librairie pendant quelques années (5 ans en moyenne) avant de tomber progressivement dans l’oubli. L’édition, comme n’importe quel média, c’est de la consommation de contenus qui nécessite de proposer toujours de la nouveauté, donc il y a du roulement et les produits plus anciens sont vite remplacés, c’est normal.

Si le livre continue de se vendre, c’est super, on poursuit l’aventure. Mais si les ventes baissent trop, au bout d’un moment ça ne devient plus intéressant de continuer à le proposer au public. Les libraires veulent de la nouveauté dans leurs rayons, sans compter que les milliers d’exemplaires qui ont été imprimés au début doivent être stockés dans des entrepôts, puis acheminés ici et là en fonction des commandes : ça coûte des sous en maintenance, tout ça !

  • On commence donc par sabrer le prix du bouquin en espérant écouler encore quelques exemplaires. Par exemple, La cantatrice est passée après quelques années de 24,95$ à 9,95$ (environ 6,60€). Comme mon 15% de droits n’a pas changé, ça fait encore moins de sous dans ma poche (1,50$, soit 1€) et c’est pareil pour les autres intervenants.
  • Après cette ultime sursaut, si les ventes baissent toujours, on finit par déclarer la fin commerciale du roman et on l’envoie au pilon, c’est à dire qu’on détruit purement et simplement les exemplaires qui restaient en stock. À partir de là, plus aucune nouvelle vente ne sera possible (sauf éventuellement le livre numérique, car lui ne coûte quasiment rien).

PRÉCISION : lorsqu’un livre est pilonné, l’auteur a la possibilité de racheter des exemplaires à son éditeur s’il souhaite continuer à en vendre par ses propres moyens.

Personnellement, ça ne m’est pas encore arrivé (mais ça ne saurait tarder, car après 7 ans ma pauvre Cantatrice semble bel et bien en fin de course…)

EDIT : J’ai annoncé ici que La cantatrice et Les filles de joie, allaient être réédités en 2020 par une autre maison d’édition ! Encore un moyen d’essayer de les exploiter le plus longtemps possible, avant leur fin commerciale.

C’est tant mieux, ça signifie que les lecteurs pourront encore les trouver en magasin pendant quelques temps !


Un livre ne génère pas toujours de revenus (et c’est normal)

Un livre est fait pour être lu. Si on le considère seulement comme un objet commercial qui doit rapporter de l’argent, on sera vite déçu.

Les revenus réels sont rarement à la hauteur de nos espérances, c’est une désillusion qu’il faut surmonter.

Dans le prix de vente d’un livre, l’éditeur prend en compte le fait que celui-ci sera prêté de main en main, donné, revendu par des particuliers, ou emprunté à la bibliothèque. Pour chaque exemplaire, il y a donc possiblement beaucoup de lecteurs différents qui, eux, ne paieront rien pour profiter de leur lecture.

Et c’est bien normal ! Ça fait partie du jeu !

Je suis extrêmement flattée de voir que mes romans sont disponibles en bibliothèque et régulièrement empruntés. Et je comprends aussi lorsque, alors que j’espérais vendre quelques exemplaires dans un Salon du Livre, une gentille dame me dit naïvement :

Il a l’air passionnant, votre roman ! Mais j’irai l’emprunter à la bibliothèque, parce que, vous savez, on ne peut pas tout acheter…

Oui, on fait un peu gloups ! sur le moment, mais ensuite on se rappelle qu’on est soi-même lecteur et qu’on n’envisagerait pas devoir payer pour tous les livres qui nous passent entre les doigts.

Entre payant et gratuit, il y a un équilibre à trouver.


En conclusion

Avec tout ça, vous aurez bien compris qu’on ne fait pas carrière comme écrivain comme on ferait carrière dans tout autre métier.

C’est pourquoi, comme tant d’autres, je vous conseille d’écrire avant tout parce que vous aimez ça, mais sans vous dire que vous allez faire fortune avec vos écrits. C’est difficile de ne pas en rêver, bien sûr, mais gardez tout de même un pied sur terre. Évaluez la valeur monétaire que vous donnez à votre oeuvre en fonction du travail que vous avez fourni, puis croisez les doigts pour que vos ventes atteignent au moins ce montant. Le reste sera du bonus ! 🙂

Mais, d’ailleurs… est-ce que c’est un vrai métier, d’écrire ? La réponse dans cet autre article, ici ! :p

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