Portrait gentleman peinture
Époque Régence anglaise

Mr. Darcy, un prince charmant ? Non, bien mieux que ça !

Je déteste ça quand les gens pensent que les filles qui rêvent d’un Mr. Darcy, c’est comme si elles cherchaient un prince charmant. Ce n’est pas le cas. Trouver un Mr. Darcy, c’est trouver un partenaire intellectuel et un égal, qui te comprend et qui va grandir avec toi.

J’aime beaucoup cette citation. Je n’ai pas réussi à retrouver le lien exact du blog Tumblr, mais bravo à celle qui l’a écrite, car elle a tout compris ! Darcy n’est pas un prince charmant : il est bien plus et bien mieux que ça !


Entendons-nous : c’est quoi, un prince charmant ?

La vision idéalisée et immature d’un compagnon pour la vie.

Le prince charmant a toutes les caractéristiques physiques et morales du héros (jeune, beau, fort, riche, courageux, aimant, généreux…). Mais ce qu’il représente en réalité, c’est la pensée magique. Il est ton sauveur, celui qui comprend tes désirs avant même que tu ne les formules et qui affronte pour toi les obstacles afin que ta vie soit douuuuuuuce… Avec lui, tu te sens en sécurité, tu as tout ce qu’il te faut, il te complète parfaitement ce qui fait que tu n’as jamais à endurer la moindre frustration ou le moindre manque. Tu as avec lui la même relation fusionnelle que tu avais avec ta mère lorsque tu étais bébé et que tu dépendais d’elle pour absolument tout.

Finalement, c’est ça, un prince charmant : une maman. Ça casse un peu le rêve, je sais… 😉

Ça suppose qu’en face, il y a une princesse : toi. Et ne t’inquiètes pas ! Si tu n’es pas encore princesse, tu vas le devenir grâce à lui, petite chanceuse ! Car si la princesse a tant besoin d’un prince, c’est qu’elle est incomplète. Elle a peut-être des atouts bien à elle, par contre il lui manque les atouts dudit prince (l’autonomie, la force morale et physique, etc) et c’est pour ça qu’elle attend de le rencontrer afin de pouvoir vivre avec lui, enfin complète et heureuse, et d’avoir beaucoup d’enfants. On est donc tout à fait dans le cliché typique du mâle dominant qui agit et de la femelle dominée qui attend.

Voilà. Et c’est avec ces idées-là qu’on biberonne nos petites filles, même encore au XXIème siècle.

Je ne sais pas vous, mais moi j’aime vraiment pas l’idée d’être une femelle dominée qui attend…

ATTENTION : je ne critique surtout pas les contes !

Au contraire, ils font partie de ma culture littéraire depuis toute petite (j’en parlais ici), et vous allez voir ci-dessous que je les aime toujours autant, je suis fascinée par leur dimension symbolique. J’en reparlerai sûrement dans d’autres articles, car il y a tellement à en dire !

Mais ce que je ne supporte pas, c’est la vision réductrice et machiste qu’on en a le plus souvent…


La Belle et la Bête

(Attention, j’ouvre une porte et il y pas mal de choses derrière ! Et je pars du principe que vous connaissez le roman Jane Eyre de Charlotte Brontë)

J’ai lu il y a longtemps un excellent article que je n’arrive plus à retrouver. C’était un essai en français traitant de Jane Eyre comme histoire-miroir reflétant La Belle et la Bête.

La Bête est solitaire, colérique, animé par ses instincts et ses caprices, contrôlant, épouvantablement orgueilleux et physiquement repoussant. La Belle est intelligente, courageuse, libre d’esprit, elle pense par elle-même et n’a pas peur d’affirmer haut et fort ses convictions. Les deux personnages sont très vite attirés l’un par l’autre, mais ils doivent évoluer et se transformer avant de pouvoir vivre un amour sincère, sain et durable, qui sera basé sur le respect et la reconnaissance de l’autre comme étant son égal. Le rapport déséquilibré doit s’ajuster, l’attirance égoïste du début doit mûrir pour devenir un amour profond, et alors seulement le bonheur ensemble sera possible.

Cet essai faisait donc le parallèle avec Jane Eyre (qui reprend en effet la même trame narrative, les mêmes étapes initiatrices, les mêmes symboles que le conte) et démontrait de façon très pertinente comment la Bête/Rochester devient « beau » après les évènements tragiques de la fin du roman. Défiguré, Rochester est plutôt transfiguré, car il présente désormais le caractère noble d’un homme adouci, mûri, enfin prêt à aimer de la bonne façon.

Je résume grossièrement, mais les fans de Jane Eyre me comprendront sûrement. Pour les autres, voici un très bon résumé : Beauty and the Beast and Jane Eyre are the Same Story

DISNEY CONTRE DISNEY : Je vous conseille cette excellente analyse critique de la youtubeuse Lindsay Ellis (sous-titres en français disponibles !), qui compare les deux versions Disney de La Belle et la Bête.

Elle explique pourquoi le dessin animé est fidèle et transmet exactement les valeurs du conte (notamment la mise à égalité des deux protagonistes, sans laquelle aucune histoire d’amour équilibrée ne serait possible), et pourquoi le remake est une totale catastrophe, incohérente du début à la fin, et reprenant les bons vieux clichés du mâle dominant. L’opposé de l’histoire originale, donc. Bravo, les gars, vous n’avez rien compris…

Activez les sous-titres en français en bas à droite de la vidéo !

Alors, Darcy, une Bête ?

En partie, oui.

Sans être une histoire-miroir, Orgueil et préjugés reprend quelques éléments de la transformation de l’homme-bête au contact de la femme-forte.

Darcy possède plusieurs des attributs de la Bête :

  • il est repoussant par son attitude hautaine
  • c’est un solitaire (en dépit de sa vie de gentleman intégré en société, il n’a pas d’égal, personne qui lui ressemble et le comprenne vraiment)
  • il est contrôlant (il décide de ce qui se passe dans la vie de ses proches, demandez donc à Bingley)
  • il est dévoré par l’orgueil et absolument pas prêt à faire des concessions pour s’adapter aux autres (il dit lui-même qu’il est habitué à faire fi du reste du monde). Avoir des manières et se conduire de façon polie envers une personne ne signifie pas que l’on a du respect pour elle.

Comme la Bête, il n’amorce une évolution de sa personnalité qu’au contact de celle qu’il aime. Mais comme la Bête, il tombe amoureux de quelqu’un à qui il fait horreur (Elizabeth n’est pas juste indifférente : elle le déteste) et lorsqu’il essaye égoïstement d’imposer cet amour en la demandant en mariage, il se fait rabrouer sans ménagement.

Car celle qu’il aime est une Belle, c’est à dire une femme-forte qui a des opinions et ne se laisse pas influencer. Pour gagner son respect et sa sincère affection, la Bête/Darcy doit d’abord se remettre en question.

Apprendre l’humilité

Attention, il ne s’agit pas de s’humilier, de se rabaisser volontairement afin de mettre l’autre en valeur. C’est Collins qui fait ça, et ça s’appelle être obséquieux (et c’est insupportable !).

L’idée n’est pas non plus de taper sur les doigts de Darcy et de se réjouir que son orgueil ait été malmené parce que c’est bien fait pour lui. Allons plus loin que ça…

La Bête ne respecte pas l’espace personnel de l’autre, il se montre envahissant et prend ce qu’il a envie de prendre pour son propre plaisir. Darcy fait un peu la même chose : lorsqu’il demande Elizabeth en mariage, il agit en maître habitué à obtenir ce qu’il désire, sans chercher à savoir ce qu’elle en pense ou si c’est bon pour elle. C’est forcément bon pour elle, se dit-il, puisqu’il est… lui ! Si grand, si noble, si respectable, si riche !

Quand elle l’envoie balader, ce qui ressemble à une humiliation est en fait une leçon d’humilité (la différence est de taille), car en apprenant à être plus humble Darcy va pouvoir grandir et devenir meilleur.

L’humilité, c’est reconnaître que l’autre, celui ou celle que l’on aime et dont on a envie auprès de soi, est une personne à part entière et non un objet que l’on peut utiliser pour assouvir nos propres besoins, et que c’est seulement en respectant cette personne et son individualité que peut naître une relation saine, où les deux protagonistes pourront s’aimer et s’influencer dans un cercle vertueux.

Apprendre la générosité

En visitant Pemberley, Elizabeth découvre que Darcy est un maître bon et généreux avec ses gens (dixit l’intendante) et c’est tout à son honneur. Mais il le dira lui-même un peu plus tard : « Enfant, on m’a enseigné à faire le bien ». Est-il un bon maître par nature, par respect des gens, ou bien simplement parce qu’on lui a enseigné que c’était la bonne chose à faire, qu’il fallait être bienveillant envers les rangs inférieurs ? Je vous laisse juger, mais il me semble que c’est une zone un peu grise.

« Je veux faire quelque chose pour elle. Mais quoi ? »

À mon sens, Darcy aborde sa vraie transformation de Bête en homme aimable (= digne d’être aimé) lorsqu’il cesse de se préoccuper de sa personne et de sa réputation (ou de celle de ses proches, comme Bingley) pour se demander spontanément : « Qu’est-ce que je pourrais faire pour elle ? ».

Ça, c’est la vraie générosité, car elle est gratuite, désintéressée, et ça ne lui vient qu’après sa demande en mariage ratée, alors qu’il pense avoir perdu Elizabeth pour toujours.

S’il résoud le problème de Lydia et sauve la réputation de la famille, ce n’est pas dans l’idée de reconquérir Elizabeth : il ne veut pas qu’elle soit au courant. Il l’aide parce qu’il l’aime et qu’il veut son bien, mais il ne cherche pas à utiliser cet argument pour s’en faire aimer en retour. Ce désintéressement montre qu’il acquiert une véritable noblesse d’âme : lui aussi devient « beau » de l’intérieur.

Accepter de changer

Darcy passe à travers tout cela après s’être fait claquer la porte au nez par Elizabeth. Il n’a pas vraiment d’espoir qu’elle change d’avis, pourtant il accepte tout de même de changer, d’évoluer et de devenir quelqu’un de meilleur. Il apprend sa leçon et c’est bénéfique pour lui en tant qu’individu, indépendamment du fait qu’Elizabeth pourrait l’aimer ou non. Comme la Bête, il se transforme après avoir été au contact de la femme-forte qui l’a séduit, et il le fait pour lui seul, sans savoir qu’il pourra la retrouver plus tard.

C’est ça, la maturité. Accepter que les choses évoluent, accepter de se remettre en question et admettre nos erreurs passées. Sans chercher à se faire mousser auprès de qui que ce soit, mais juste parce que c’est bon pour nous.


Voir l’autre comme son égal

C’est un des textes-clé de Jane Eyre (la plus belle tirade de l’héroïne !). Je vous en mets un morceau :

Demande en mariage de Jane Eyre par Rochester (scène du film avec Mia Wasikowska et Michael Fassbender)
_ it is my spirit that addresses your spirit; just as if both had passed through the grave, and we stood at God’s feet, equal, – as we are!

C’est mon esprit qui s’adresse à votre esprit, comme si tous deux, après avoir passé par la tombe, nous étions aux pieds de Dieu, tous deux égaux, _car nous le sommes !

Jane s’affirme haut et fort comme étant l’égale de Rochester. Elle ne demande pas qu’il lui offre cette considération comme un privilège, qu’il fasse une exception pour elle, non : elle affirme que tous les deux sont égaux par essence, quoiqu’en disent les conventions sociales. Point.

Pour Elizabeth, c’est la même chose. Lorsqu’elle déclare à Lady Catherine qu’elle et Darcy sont égaux car il est un gentleman et qu’elle est la fille d’un gentleman, on peut imaginer derrière une portée bien plus grande. Tout comme Rochester et Jane Eyre, Darcy et elle sont égaux en dépit de l’écart social et des convenances : ils sont égaux sur le plan intellectuel, ils se reconnaissent l’un l’autre comme faisant partie de la même espèce.

Il ne pourrait pas y avoir d’amour sans cette égalité des deux intéressés, et il faut que cela soit dit et admis. Sinon, on reste dans une relation de dominant-dominé, où chacun peut éventuellement trouver son compte mais où il y a forcément un ascendant de l’un sur l’autre qui déséquilibre et fragilise le tout, et qui empêche les deux de s’épanouir.


En conclusion

Darcy n’est définitivement pas un prince charmant : c’est un homme mature qui a l’intelligence d’admettre ses erreurs et qui se montre généreux même s’il n’a rien à y gagner en retour. Il est prêt à changer, à évoluer, car il sait que c’est inhérent au fait de mêler sa vie à celle de l’autre. Il accepte que la femme qu’il a choisie le bouscule dans ses habitudes, ce sera pour lui l’occasion de devenir un homme meilleur.

C’est pour ça que, lorsqu’on est soi-même assez mature pour comprendre qu’une relation amoureuse épanouissante ce n’est pas le confort absolu d’une maman, mais c’est plutôt la confiance en l’autre pour s’améliorer et grandir ensemble, on voudrait toutes trouver un Mr. Darcy…

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