
Description visuelle : ne pas toujours tout dire
Un des commentaires les plus courants de la part des lecteurs de mes romans, c’est :
Tout est tellement décrit qu’on imagine super bien la scène. On se croirait dans un film !
C’est vrai, je suis très visuelle, et très influencée (comme tout le monde !) par les films et les séries télé, avec leurs codes, leurs rythmes, leurs ressorts scénaristiques. Ça paraît, dans mes histoires.
Mais autant je ne me suis pas privée pour décrire Pemberley en long, en large et en travers (voir ici), autant je suis beaucoup plus réservée quand il s’agit de décrire à quoi ressemblent physiquement les personnages, ou comment ils sont habillés. Et voici pourquoi…
Les robes et les coiffures
C’est un truc typiquement féminin, ça, et qu’on retrouve dans une bonne partie de la littérature « pour filles » : les personnages (en particulier les héroïnes) sont décrits de la tête aux pieds. On connaît leur taille, leur silhouette, la couleur de leur peau, de leurs yeux et de leurs cheveux, s’ils ont des taches de rousseur, des cicatrices et autres signes distinctifs. On nous dit quels vêtements ils portent, les tissus, les couleurs, comment ils sont coiffés, quels bijoux, etc. Et, très souvent, on a droit à la scène de l’héroïne mal fagotée qui est revampée en princesse, avec la description de la toilette extraordinaire qu’elle va porter pour une occasion spéciale.
On ne trouverait pas autant de détails dans de la littérature destinée à un public plus masculin (ou plus unisexe), où les descriptions des personnages sont surtout là pour nous donner des détails précis, pas pour « décorer ». Je ne veux pas lancer un débat sur le sexisme ni faire un jugement de valeur ici, mais il faut bien admettre que nous, les filles, sommes culturellement très influencées par l’apparence, et que pour beaucoup d’entre nous c’est un vrai plaisir de parler chiffons et de s’attarder longuement sur des détails esthétiques : ça ouvre tout simplement une porte sur l’imaginaire. D’où ce besoin de décrire beaucoup l’apparence physique des personnages.
Les images de couverture
Une autre solution, pour mettre du visuel sur ces personnages, c’est d’ajouter des illustrations. Malheureusement, de nos jours, on ne trouve plus d’illustrations à l’intérieur des romans, comme il pouvait y en avoir par le passé. Je pense notamment à cette édition d’Orgueil et préjugés datant de 1895, avec de bien jolies gravures de Charles E. Brock illustrant les scènes principales :

Malgré tout, on continue d’illustrer les couvertures des livres. Selon les cas, on pourrait donc avoir une idée très précise de ce à quoi sont supposés ressembler les personnages. Les filles de joie étaient illustrées, La cantatrice montrait des photos d’archives… et je me souviens aussi avoir dessiné deux ou trois fois les héroïnes de mes fanfictions (car la fanfiction passe aussi énoooormément à travers le dessin). C’est assez naturel, en fait, de vouloir voir.
Ceci étant… j’ai voulu faire tout l’inverse avec La renaissance de Pemberley.
Laisser travailler l’imaginaire
Il y a un sujet que j’adore : les contes. Contes traditionnels, contes de fées, légendes, mythologies… Plus jeune, j’en ai lu et écouté beaucoup, à présent j’ai plutôt tendance à lire des analyses de ces contes ou à regarder des documentaires à ce sujet. Et parmi ces différentes analyses, j’ai un jour lu quelqu’un qui disait, en substance :
Il faut lire des contes à nos enfants, mais pas des livres illustrés. Si l’histoire parle d’un château perché sur une colline, laissons à l’enfant le choix d’imaginer le château qu’il veut.
Ça a fait tilt, chez moi.
Pour qu’un lecteur se projette dans une histoire, il faut lui laisser la place de se projeter, d’appliquer à ce récit des éléments qui lui sont propres, qui n’appartiennent qu’à lui. Un enfant devrait pouvoir imaginer SON château, au sommet de SA colline, à partir de tout ce qu’un château sur une colline peut évoquer chez lui. C’est ce qui lui permettra de s’approprier l’aventure qu’on lui raconte, d’en retirer ce qu’il aura envie d’y voir et qui lui fera du bien. Lire des histoires, ce n’est clairement pas la même chose que montrer des histoires.
C’est pourquoi je suis toujours ambivalente envers les adaptations en films ou en séries télé. Entendons-nous bien : j’ai un plaisir fou à les regarder et j’en consomme énoooooormément. Tout comme vous, il y a beaucoup de livres que je n’ai jamais lus mais que je connais pour en avoir vu une version filmée, et il y a ceux que j’ai lus APRÈS avoir vu une version filmée. C’est grâce au film de 2005 que j’ai lu Orgueil et préjugés, c’est grâce à la trilogie de Peter Jackson que j’ai lu Le seigneur des anneaux, et je me fais un devoir de regarder autant de versions de Jane Eyre que possible. Mais, évidemment, comme j’avais déjà des images en tête avant de lire le livre, impossible pour moi d’imaginer Aragorn autrement que sous les traits de Viggo Mortensen, ou Elizabeth Bennet sans le sourire de Keira Knightley. S’il y a plusieurs versions, on peut choisir celle qu’on préfère, il n’empêche que ma Jane Eyre n’existe pas sans une Mia Wasikowska ou une Charlotte Gainsbourg.
Autrement dit, dans le cas d’un livre, voir (ou se faire raconter) trop de choses nous prive du plaisir d’imaginer les personnages à notre façon.
Du côté d’Arsène Lupin

Je l’ai déjà dit ici : je suis une fan finie d’Arsène Lupin. Et l’un des tours de force de Maurice Leblanc lorsqu’il a créé son héros a été de ne surtout jamais le décrire.
Comme c’est un personnage qui se déguise en permanence, l’auteur nous dit volontiers s’il porte une perruque rousse, des favoris, des lunettes à monture d’écailles, s’il s’est collé un faux nez ou s’il a avalé des produits pour se donner l’air bouffi et malade. On a une idée de son apparence extérieure, mais il ne s’agit que de déguisements.
Par opposition, le grand personnage auquel on le compare souvent, Sherlock Holmes, est tout à fait décrit physiquement, avec des attributs distinctifs : grand, maigre, cheveux noirs, yeux gris, grand front, nez aquilin, casquette en tweed, pipe et violon. Mais Arsène, lui-même ? On ne sait pas. On nous dit qu’il est de taille moyenne et plutôt athlétique, c’est tout.
Et c’est là tout l’intérêt ! Car avec un personnage qui n’est pas décrit, on peut imaginer absolument tout ce qu’on veut, et donc s’identifier à lui.
Pour en revenir à Jane Austen

Jane Austen n’a jamais beaucoup décrit ses personnages. On sait que Darcy est grand et brun, qu’Elizabeth a des yeux foncés, et que Jane est une beauté selon les canons de l’époque (tout le monde en déduit qu’elle est blonde aux yeux bleus, mais en réalité on n’en sait rien du tout !).
Le reste, ce sont les adaptations filmées et une bonne quantité d’illustrations diverses qui nous donnent une idée de ce à quoi ressemblent les personnages. On pourrait d’ailleurs remettre en question le fait que les héros aient généralement une mâchoire carrée et de belles épaules, alors que ce n’étaient pas du tout un critère de beauté masculine pour l’époque de Jane Austen. Avoir un torse développé était une caractéristique des travailleurs des champs, tandis qu’un gentleman était supposé avoir une silhouette fine et des jambes musclées indiquant qu’il montait souvent à cheval (je n’invente rien, allez donc lire ceci).
Alors si on veut donner au lecteur la possibilité de s’approprier l’histoire, de s’imaginer à la place d’Elizabeth, de visualiser Darcy sous les traits d’un charmant collègue de travail ou de son acteur préféré, ou bien de s’inspirer d’une voisine un peu acariâtre pour incarner une Lady Catherine imaginaire, mieux vaut ne pas en faire trop dans les descriptions.
Dans La renaissance de Pemberley, je n’ai décrit en détails qu’une seule robe, parce que, symboliquement, cette robe était importante pour représenter la nouvelle personne qu’Elizabeth va devenir. C’était justifié, pas décoratif. J’ai aussi passé beaucoup de temps à décrire Pemberley, et pourtant je refuse de montrer quoi que ce soit sur la couverture (j’en parle ici). À part ça… Lizzy a-t-elle les cheveux bruns, châtains ou blonds ? Darcy a-t-il les yeux bleus d’un Matthew Macfadyen ou les yeux bruns d’un Colin Firth ? J’ai mon idée personnelle sur la question, bien sûr, mais ce n’est qu’un point de vue de lectrice. En tant qu’autrice, j’ai volontairement occulté tout ces détails physiques pour laisser aux lecteurs le choix d’imaginer ce qu’ils veulent.
Faut-il laisser tant de liberté de projection au lecteur ?
Mais oui, après tout : pourquoi vouloir à tout prix laisser cette liberté au lecteur ? Certains auteurs préfèrent au contraire être le plus précis et pointilleux possible, pour transmettre au mieux la vision qu’ils ont dans la tête. Et ils refusent catégoriquement que les lecteurs déforment cette vision (je pense à Anne Rice, ici, qui est un exemple typique d’autrice intransigeante sur le devenir de ses romans)(on en reparlera).
Personnellement, je n’adhère pas à cette façon de voir les choses, peut-être, justement, parce que j’aime autant les contes et les histoires que je peux, en tant que lectrice, m’approprier. J’aime l’idée qu’un texte laisse libre cours à l’interprétation, que le lecteur puisse saisir au détour d’une phrase un sens caché qu’il va trouver pertinent, qui va résonner en lui, même s’il n’y avait aucune volonté de l’auteur de mettre un sens caché à cet endroit-là. Et, à l’opposé, il y a des choses dans mes romans qui n’ont de sens que pour moi, et où je suis à peu près certaine que personne ne saisira jamais vraiment ce que j’avais voulu dire.
Pour résumer, je suis profondément convaincue qu’une histoire n’appartient à son auteur que pendant le temps de l’écriture : une fois le roman publié, il devient la propriété de chaque lecteur, qui en fera ce qu’il voudra. Alors, laissons-lui de la place pour ça 🙂

